Ecrit par
Véronique Godé le 04/01/05
Artistes :
Goulet Olivier
Nordmann Boris
Ait kaci Yacine
Mestaoui Naziha
Bill Viola, Tàpies, Valérie Belin, Louise Bourgeois, Matta, Man ray... Les pièces d’une trentaine d’artistes contemporains disséminées dans tout l’espace du musée, y côtoient des Hieronymus Bosch ou plus proche du sujet, la réalité sculpturale des corps d’un Pierre-Paul Rubens ou de Jean-Baptiste Carpeaux.
A quelques pas de là, dans l’antre du Phénix et l’espace temps d’un festival (du 22 au 25 novembre dernier) d’autres artistes ont exposé leurs variations sur l’épiderme : vue en coupe après lifting.
L’interstice
Dans les sous-sols du Phénix, où sont exposés les mondes virtuels, un lit de six mètres sur quatre convoque le sensuel. Allongée sur le matelas, j’enfile les écouteurs et regarde défiler la vidéo qui me sert de toit. Un paysage de corps filmé en très gros plan passe lentement au-dessus de ma tête comme un scan : sensation étrange et délicieuse de ma propre intimité, je perçois celle des autres couchés à côté de moi, sans pouvoir en discerner les contours. En rupture avec la frénésie d’un festival, Au lieu des autres, la pièce de
Boris Nordmann est un passage par l’horizontal qui nous ramène au corps.
Biologiste de formation, Boris aborde le champ des arts plastiques comme un terrain d’expérimentation et investit l’espace public : « plutôt que d’exposer dans un lieu consacré, dit-il, je préfère m’adresser aux gens comme ils sont, là où ils sont ». Dans
Exotisme du terrain vague, par exemple il crée une œuvre, une photographie en relief sous un pont parisien. « Là où on attend crottes de chiens et graffitis, dit-il, j’ai mis en scène des plantes vulgaires -qui poussent auprès des rivières-, sur une photo de douze mètres de large: la volupté de leurs formes jaillit en 3D pour qui veut bien glisser la tête dans le cadre de vision. » Boris investit l’interstice, ce n’est pas son seul travail sur le sujet : il fait apparaître des grains de beauté, là où la peau du monde a été scratchée.
L’interface cybernétique
« La mutation future de l'homme est souvent abordée par le biais du clonage et des modifications génétiques or l'alternative bionique, basée sur la fusion de l'organique et de l'électronique, me semble plus prometteuse », s’engage
Olivier Goulet qui mène depuis dix ans une réflexion sur la peau. Dernière mouture de son travail, le
Skin bag une collection d’accessoires et vêtements de peau aux couleurs humaines dont l’artiste habilla tour à tour les intervenants du festival... pour une mue assez réussie, d’ailleurs.
Il s’agit pourtant d’une peau ridée, brûlée peut-être ? scalpée, et parfois scarifiée, qui ramène à la surface, même ce qu’elle dissimule : oscillant entre régression et anticipation, le Skin bag suscite tous les fantasmes et les angoisses qui se rapportent à la partie organique du corps. « Certains voient mes sacs comme des placentas portatifs. Leur matière troublante et molle évoque la membrane, la muqueuse, des tissus bizarres, autrement dit la partie trouble, voire informe de nous-mêmes. »
Le travail d’Olivier Goulet pose clairement la question de l’identité, au moment même où la première greffe d’un visage humain soulève un débat d’éthique. Mais sa peau à lui est purement synthétique (du latex ni plus ni moins) et la démarche métaphorique : nous sommes incapables de définir clairement ce qu’est l’identité individuelle et collective. « Le nom, le visage, le souvenir, restent désespérément insuffisants pour nous définir... Les technologies numériques y parviendront t-elles de façon plus juste ? » La question reste posée.
Territoire prothétique, identitaire, Olivier a d’abord tenté de lire la peau comme une cartographie du corps, que son sens de la provocation a mené à fragmenter, numériser et vendre sur Internet en 1997. Son concept la
Vente de Territoire Par Correspondance propose de s'approprier virtuellement le corps de quelqu'un d'autre. « VTPC consistait à brader voire liquider le corps de Gilles Virget, SDF à l’époque, donc sans espace privatif », précise l’artiste. « Ce détail polémique renforce l’idée de peau comme l'ultime frontière qui distingue l’individu du reste du monde. Une critique de notre système économique et social qui repose largement sur le schéma de l'exploitation de l'autre. »
Conceptuel autant que plastique, le travail d’Olivier Goulet s’inscrit dans une démarche résolument contemporaine qui s’affranchit des sentiers tracés par le milieu artistique : dès 2006, ses Skin bags rejoindront un réseau de distribution commercial mondial, pour un prix public abordable, nous promet-il. Son ambition depuis le départ : trouver des partenaires à la pointe de la recherche dans le domaine des télécommunications et des capteurs en tout genre, capables d’intégrer les premiers composants dans ses membranes.
Glissement sémantique et réalités hybrides
Les architecte et designer, Naziha Mestaoui et Yacine Ait kaci, emploient le terme de peau d’information pour définir toute une strate de leur travail. En 2000, année de toutes les prospectives, ils avaient conçu avec le designer de mode Crstof Beaufays et le concours de France Telecom R&D, une écharpe communicante (exposée au Moma en 2001); considérant le vêtement comme une seconde peau qui par le biais d’interfaces intégrées permet une extension des sens dans le virtuel.
Leur installation i-Skin 2.0 réalisée avec le même designer et le collectif belge Lab[au] propose une modélisation subjective de la personnalité humaine à partir d’un croisement d’informations, symbolisé par la génération d’un avatar de cristal. Cette deuxième peau de personnalité façonnait un objet unique pour chaque visiteur de l’exposition « La beauté » en Avignon.
Qu’ils s’agisse de métaphores artistiques ou de projets d’ architecture,
Electronic Shadow s’efforce depuis cinq ans à construire des passerelles entre réel et virtuel, créant une porosité entre les deux mondes par le biais de l’image vidéo et du réseau connecté. Comme une double peau qui se joue des transparences, une ombre qui n’existe que par la réalité d’un corps.
Avec 3 minutes2, par exemple, ils augmentent les limites physiques d’un volume réduit par un système de projections et reconfigurent sans cesse le lieu de vie (15M 2), en fonction des activités de la journée. Une mue « architecturale » dont le Japon a tout de suite su reconnaître la pertinence ! (grand prix du Media Art festival 2004). « A l'opposition traditionnelle réel/virtuel, nous proposons une superposition des deux dans des espaces de perception communs », précisent Yacine et Naziha. Ce qu’ils qualifient de Réalités hybrides. Une
rétrospective de leur travail fut exposée à la fondation Vasarely d’Aix-en–Provence, jusqu’au 31 décembre, donnant naissance au livre-catalogue du même nom
Hybrid realitiesédité en français et anglais par Archibooks-Le Gac+Sauterau éditeurs.
Pour le cabinet d’architecture
Combarel-Marrec, la notion de peau n’est pas non plus une vue d’esprit : dans une brillante démonstration, Emmanuel Combarel a projeté une douzaine de projets retenus (ou pas par ses commanditaires) où les concepts d’enveloppe, de revêtement, de résille... -qu’ils servent des contraintes fonctionnelles de protection, de porosité ou de pure cohérence esthétique-, sont au cœur de leurs préoccupations quotidiennes.
N’en déplaise aux pourfendeurs d’urbanisme contemporain, un bâtiment, un bloc est ici pris comme un organisme vivant dont la peau unifie un volume sans l’alourdir, agit comme passerelle ou comme filtre avec l’environnement extérieur, l’habille d’une couleur signalétique, unifie l’espace et arrondit ses angles morts.
L’image est la peau du monde
En clôture de la journée thématique des E-magiciens, nous fut offerte issue du fonds audiovisuel contemporain de l’INA une sélection d’une vingtaine de films en 3D, fleuron d’Imagina. La plupart ont tout simplement vieilli sauf peut-être, l’excellent (rebutant pour d’autres) film de Bériou,
Ex memoriam, où un ordinateur explore la mémoire de sa genèse, énumérant dans un enchevêtrement de bras, de doigts, de chair et de poils, le jargon poético-surréaliste édifiant des chercheurs en IA (intelligence artificielle). Mais le directeur du magazine bimestriel Repérages écume les festivals et poursuit sa veille, car il est assez rare sauf au hasard d’un clip peut-être, d’apprécier des œuvres résolument contemporaines.
Déconcertante, pertinente et trash la programmation de Nicolas Schmerkin avec Rubber Johnny (Chris Cunningham) (www.rubberjohnny.tv/), Protocole 33 (Benoît Lestang, à suivre), une incroyable construction origamique de l’homme, Chrysalide (Yann Bertrand et Damien Serban-LPA) s’est terminée, après un pub D’H5, Excite, par le plus lisse esthétiquement mais très controversé Flesh (Strikebackfilms.com) d’Edouard Salier.
Imaginez une modélisation 3D de New York City vue du ciel (just before 9/11 – avant le 11 sept) avec projection versus mapping d’un porno soft à tendance lesbien sur tous les gratte-ciels de la ville. Image ostentatoire, exhibition luxuriante de la chaire, arrive ce qu’il arriva : déflagration, bombardement d’avion, explosions en 3D jubilatoires et puériles, feus d’artifices et bûché des vanités ... jusqu’à ce que la ville se reconstruise. L’image suscite, c’est un fait, des réactions épidermiques variées ! Il est des images qui nous collent à la peau, qui nous hantent ou nous désespèrent. Le docteur
Sarah Rosen elle, s’interroge et pose la question à l’envers : l’image peut-elle guérir ?
Pour en savoir plus sur l’actualité des e-magiciens 2005
www.arte-tv.com/cultures-électroniques